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Harcèlement scolaire : un autre discours
Je ne me suis réellement intéressé au harcèlement scolaire qu'à partir de 2011, lors de mon passage comme animateur au Conseil Municipal de ma Ville (CMJ).
Auparavant, mon sujet était "la violence à l'école", dans sa globalité. Un thème qui, à mon sens, est rarement traité par une approche préventive dans les écoles (la plupart du temps, on ne parle de la violence, pardonnez-moi l'expression, seulement lorsqu'elle frappe les esprits).
Peu à peu, le sujet du harcèlement s'est imposé dans les réunions avec les jeunes élus, et chaque année, ou presque, les enfants s'impliquaient avec plus ou moins d'enthousiasme pour sensibiliser leurs camarades de l'ensemble des établissements scolaires de Salon-de-Provence.
Des associations spécialisées étaient conviées durant l'année de mandat des jeunes élus municipaux, pour sensibiliser et informer des enfants qui, au fil du temps, devenaient presque incollables sur le sujet.
On faisait des affiches, des vidéos, des débats,... parfois émouvants lorsque des enfants témoignaient de ce qu'ils avaient vécus dans leur école (comme témoins ou victimes) quelques années auparavant ou seulement...quelques mois.
De beaux projets certes, mais en écoutant les enfants, surtout celles et ceux qui avaient été confrontés de près ou de loin au harcèlement, je pouvais sentir qu'ils attendaient autre chose de plus concret, de plus durable que des actions ponctuelles visant essentiellement à informer.
Dans le discours des enfants, on pouvait entendre la solitude des uns face au harcèlement, le sentiment de ne pas être suffisamment écouté et pris au sérieux par les adultes pour d'autres, la peur qui s'installe durablement chez la plupart, une peur que rien ne semble pouvoir atténuer à leurs yeux.
Avec les drames qui ont jalonné l'actualité durant ces 10 dernières années, et qui continuent bien malheureusement encore aujourd'hui, faire des affiches et quelques débats ne peut suffire face à l'ampleur du phénomène. Mais comme à chaque fois qu'il est question de violences faites aux enfants, on se heurte au scepticisme, à l'hésitation, et parfois même à l'opposition du monde des adultes. Je l'ai vécu avec la mise en place du projet ni hérisson, ni paillasson dans les écoles primaires de ma ville où parler des droits des enfants étaient parfois compliqué, très compliqué.
C'est aussi un manque de moyens, n'ayons pas peur de le dire. Lutter efficacement contre le harcèlement demande une prise en compte globale du problème. Davantage de moyens humains quotidiennement sur site (infirmières, médecins, assistantes sociales, surveillants), davantage de formations et de personnels dédiés spécifiquement à la lutte contre le harcèlement et plus généralement à la violence scolaire.
On pourrait continuer à énumérer les moyens nécessaires pour lutter contre le harcèlement comme des ateliers et des lieux d'expressions et d'ambitieux projets d'écoles en lien avec le harcèlement et la violence à l'école.
Autrement dit une lutte en continue est nécessaire. Cela s'appelle de la prévention.
C'est pour quand ?
On prévoit des exercices réguliers pour lutter contre les incendies, des aménagements pour évacuer et ralentir la propagation du feu(issues de secours, portes par-feux, zones d'attentes, ...) des extincteurs, des numéros d'urgences et tout un protocole pour se prémunir au mieux des risques d'incendie. Et heureusement !
Pour le harcèlement, nous pourrions aussi étudier tous les risques afin d'apporter des réponses préventives (en plus des mesures répressives qui existent déjà).
Mais en attendant que faire ?
Un climat scolaire positif
Un climat scolaire ou chacun se sent respecté, écouté, considéré,... pourrait, à mon sens, permettre non seulement un meilleur travail scolaire, une meilleur ambiance dans la classe, mais contribuerait surement à renforcer le sentiment de sécurité, de protection et de bien-être chez l'enfant.
L'adulte est, de mon point de vue, un maillon essentiel du dispositif préventif contre les violences à l'école.
Respect, bienveillance et fermeté
Cela commence par la volonté de parler à l'enfant avec respect, être bienveillant, être attentif, poli, courtois avec lui. Ce qui n'empêche pas une certaine fermeté pour rappeler le cadre et les règles.
Durant nos journées de travail, nous croisons à coup sûr le chemin d'enfants qui subissent des violences à l'école ou dans le cercle familial. Imaginez combien ces enfants seraient rassurés, réconfortés de voir des personnes leur manifester de la considération et du respect.
Inverser le rapport de force
Durant des années j'ai entendu des enfants raconter comment ils se sont sortie de cette violence oppressante, parfois étouffante grâce à d'autres élèves, à un prof, un surveillant, un parent. Comment le rapport de force s'inversait et le sentiment d'impuissance s'estompait chez les victimes quand elles se sentaient épaulées, entourées, encouragées.
Voir des camarades, des adultes prendre énergiquement sa défense, entendre un discours offensif pour contre-carrer les attaques du harceleur jouait, de toute évidence, sur l'état psychologique de l'enfant victime de harcèlement et lui redonnait la force de lutter.
Il y a également un point qui a attiré mon attention dans les histoires que racontaient les enfants à ce sujet. C'est la toute puissance supposée ou réelle que certains enfants, témoins ou victimes, prêtaient au harceleur. On aurait dit "qu'on affrontait un géant invincible" semblaient vouloir nous dire certains élèves.
En effet, en écoutant le discours de la communauté éducative, de la plupart des parents, des enfants mais aussi des médias, il est facile pour un élève victime de harcèlement d'imaginer son adversaire comme tout puissant et invincible.
Imaginez ce que cela provoque chez l'enfant victime de harcèlement. "Je suis foutu car personne ne peut rien contre mon agresseur ... "
Alors j'ai eu l'idée de créer un outil (de plus) qui mettrait en avant le profil de chacun des protagonistes connus dans une situation de harcèlement scolaire.
Cet outil, je l'ai testé avec des collégiens et j'avoue avoir été enthousiasmé par le résultat. Voir les élèves dresser eux-mêmes le portrait du harceleur (et des autres acteurs), ses besoins, ses émotions et se rendre compte qu'il s'agissait, finalement, d'un élève comme les autres en a surpris beaucoup.
Car on l'oublie trop souvent, le harceleur est, avant tout, un enfant. Ce n'est pas un monstre, une créature dotée de pouvoir extra-ordinaire, un être à part. C'est une personne qui a besoin du regard des autres pour se sentir exister et peut-être veut-il, en attaquant d'autres élèves, se sentir plus fort, plus important, plus sûr de lui.
"Aurait-il peur ?" avait demandé un élève alors que le profil du harceleur tel que le groupe l'avait imaginé apparaissait sur le tableau.
Pour moi l'objectif était atteint: mettre publiquement à mal la toute puissance du harceleur et montrer un autre aspect du "géant invincible".
Nous devons écrire un autre narratif sur le harcèlement, utiliser un autre vocabulaire pour que les enfants se l'approprient positivement et sortent de ce fantasme qui fait du harceleur "une créature" inattaquable.
Nous devons (re)donner espoir aux enfants, leur donner envie de lutter et de résister.
Le tableau utilisé pour les ateliers d'expression sur le harcèlement
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