• Le meilleur ami du monde

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    Il ne passe pas inaperçu dans la cour du collège tant son comportement est différent de celui des autres élèves. Durant les récréations la plupart des garçons de son âge chahutent, se bousculent, hurlent, s’invectivent, se battent parfois. Joséphin lui se contente de sautiller devant la vitre sans tain du foyer en regardant avec attention son reflet qui bouge et s’anime au rythme des mouvements de son corps. Son visage alors grimace, sa bouche se tord sans doute pour trouver la bonne expression. Puis le rire surgit comme une issue attendue. Tout son être semble s’amuser, se délecter de cette situation dont il est le seul à connaître les contours.

    L’instant d’après, son corps se fige, puis, comme pris d’un doute, Joséphin se gratte la tête et calmement s’appuie contre la vitre du foyer et se laisse tranquillement glisser jusqu’au sol.      

    Il ne manque pas d’attirer l’attention des autres enfants qui l’entourent. Tantôt intrigués, tantôt un brin moqueurs, ils sont quelques-uns à s’arrêter pour l’observer.

    Parfois un élève s’approche et lui tend la main en ajoutant un petit « bonjour » auquel Joséphin répond poliment.      

    La plupart ne le comprennent pas. Lui ne semble pas les comprendre d’avantage.      

    En cours, Joséphin ne fait pas de bruit et ne perturbe pas la classe. Il attend souvent des consignes de la part de son accompagnant pour se mettre en action. Mais ça c’était avant…      

    Depuis peu nous avons mis en place une fiche avec des images qui détaillent chaque étape de son installation en classe. Ceci afin de l’inciter à davantage d’initiative. Et ça marche !      

    C’est parfois encore difficile pour lui de faire ce qui lui est demandé. Non pas qu’il manque d’intelligence mais de temps pour se connecter à l’instant présent et pour mobiliser les compétences nécessaires. Pour y parvenir, les efforts qu’il doit fournir dépassent certainement ce que l’on peut imaginer.  

      Les premiers mois où j’accompagnais Joséphin, ce qui m’a le plus dérangé, c’est l’absence de réponse de sa part ou des réponses vagues, imprécises voire décalées aux questions que je lui posais. Il m’arrivait aussi de prendre pour réponse les mots que je venais de prononcer et qu’il répétait. C’est assez déstabilisant au début mais je m’y suis très bien habitué. Il suffit de varier les phrases jusqu’à trouver la bonne accroche. Et là encore les choses évoluent.      

    Avec Joséphin j’ai appris la patience et l’humilité. Attendre parfois des dizaines de minutes pour obtenir une réponse qui n’est pas celle que j’espérais est, pour moi, très formateur. Cela me permet d’apprécier chaque avancé aussi petite soit-elle et aussi de relativiser mes vaines tentatives.  

      Un jour, en physique Chimie, lors d’une expérience, Joséphin a pris le flacon que le professeur lui tendait puis il l’a secoué pour mélanger la solution sur la demande de l’enseignant. Cela paraît ordinaire. Tous les enfants de sa classe sont capables de réaliser ce geste. Mais pour Joséphin c’était immense. Tout son corps s’est mis à gesticuler au rythme du récipient. Il avait l’air content.      

    À un autre moment, c’est la professeure de SVT qui, le plus naturellement du monde, l’interroge comme n’importe quel autre élève de la classe. Joséphin s’est alors gratté la tête en la regardant mais il n’a pas répondu. Qu’importe on l’avait appelé et c’était déjà beaucoup.      

    Toutes les situations ou Joséphin pénètre dans notre monde sont des satisfactions pour moi et pour lui aussi, je le crois. Ces moments sont de plus en plus nombreux.      

    D’ordinaire, en inclusion, les autres élèves lui adressent rarement la parole et les professeurs l’interrogent peu voire pas du tout. C’est un peu comme si il était invisible. C’est compréhensible quand on sait que la plupart des professeurs n’ont reçu aucune formation ni sensibilisation, tout comme les élèves qui, pour la plupart, ne connaissent que très peu l’autisme.      

    Mais peu à peu les choses semblent évoluer grâce aux initiatives de certains élèves et professeurs, à la mise en place de temps d’échanges et de sensibilisation sur l’autisme. C’est encore peu mais les mentalités changent… .       

    Joséphin a beaucoup de point commun avec les autres élèves. Il est parfois râleur, parfois joyeux, fatigué, excité, drôle, dans la lune, en colère. Il vient quelquefois spontanément vers moi pour me parler puis d’autres fois il reste à l’écart et parle tout seul, grimace, s’agite comme si il avait besoin de s'isoler.      

     Joséphin n’est ni méchant ni malveillant. On pourrait penser que cela est lié à ses difficultés à communiquer et à comprendre le sens de certains mots. En fait je me suis aperçu qu’il avait conscience parfois de la moquerie et du rejet dont il pouvait être victime. Il en a déjà souffert, il nous l’a dit…

     Joséphin est très réceptif à l’humour.

    Un jour en Techno alors que je me lamentais d’une manière théâtrale (« j’en faisais des caisses » comme on dit) parce qu’il n’avait pas les codes pour sa tablette, il me regarde et me dit « ha la bonne blague ! » en riant.      

    Il aime aussi chanter. Dès qu’il m’entend fredonner, il reprend presque aussitôt l’air qu’il vient d’entendre et cela semble le rendre plutôt joyeux.  

    Je crois qu’il a besoin d’être stimulé, d’être incité gentiment. Si on campe sur nos idées liées à l’autisme, on risque de passer à côté de l’essentiel.

      Pourtant scolairement j’ai beaucoup de mal à le pousser. J’ai le sentiment qu’il est déjà suffisamment sollicité.  

    En classe, quand il ne répond pas à ma demande, je répète calmement une deuxième fois la consigne puis je regarde comment il réagit. Selon les signaux qu’il m’envoie, je répète ou je passe par l’écrit. J’utilise alors une ardoise où je note les consignes une par une, ainsi que la fiche de travail mise en place par sa professeure pour synthétiser l’ensemble.  

    Ça fonctionne la plupart du temps.      

    C’est dans les interactions sociales où je suis plus exigent. Je n’hésite pas à inviter ses camarades de classe à venir lui parler, à se mettre à côté de lui pendant les cours ou carrément à l’inciter au travail en lui posant des questions. Je reste en retrait et j’observe.  

    J’ai expliqué aux autres élèves que Joséphin était un enfant formidable et qu’avec lui, aucun risque de rencontrer certaines attitudes propres aux enfants de son âge. Pas de mensonge, pas de moquerie, de mot blessant, de geste agressif ou de violence gratuite. Ce qui, pour une amie de sa classe, en fait « le meilleur ami du monde ».

    Je partage complètement cet avis.          

    De mon côté, je lui propose des jeux quand je sens qu’il est disponible. On joue au loup autour d’un poteau dans la cour, je fais des voix bizarres pour l’inciter à réagir. Au début il était passif ; depuis peu il commence à fuir quand je lui cours derrière et il me poursuit énergiquement.

    On s’amuse aussi à imiter des personnages devant cette fameuse vitre sans teint du foyer.      

    Il aime aussi se comparer. Il se met à côté de moi et regarde qui est le plus grand. À ce moment-là, je me hisse sur la pointe des pieds et cela ne manque pas de le faire réagir : « Ho mais qu’est-ce que tu fais ? Redescend ! » s’exclame-t-il.  

    L’autre jour, il vient vers moi en courant et crie « Marcel ! » Je lui tend les bras et là Joséphin s’arrête et dit « Ha non ! » et s’en va en sautillant.       Autant vous dire que la routine n’existe pas à avec lui !      

    Au fil du temps, Joséphin interagit de plus en plus avec les autres.

    En classe, il se met au boulot plus facilement et exprime ses émotions un peu plus qu’auparavant. Le ton et les mots qu’il utilise sont parfois inappropriés mais l’idée fait son chemin.      

    En cette fin d’année, Joséphin m’a fait un cadeau comme aux autres collègues et professeurs qui l’accompagnent. Il m’a également donné un dessin qui me représente avec une inscription « Ho capitaine mon capitaine. ».

    Cette phrase je lui ai dit un jour dans la cour et je ne sais pas pourquoi il s’en est rappelé. Cela m’a touché car je repensais au film qui m’a inspiré cette citation « le cercle des poètes disparus ». Dans le film, un professeur incite ses élèves à réfléchir par eux-mêmes et à dépasser les limites que leur impose la société. Il les libère en quelque sorte des chaînes du conformisme. Peut-on y voir un parallèle avec Joséphin qui quelque part cherche à se libérer de son état?      

    Quoiqu’il en soit je sais qu’il va évoluer. Joséphin va devenir, d’ici quelques années, un adulte capable de grandes choses. Sa mémoire est étonnante, son talent artistique et sa créativité immenses, ses capacités d’observations sont incroyables et sa minutie est un véritable don. Et que dire de sa grande sensibilité qui sera source d’une énergie sans limite pour peu qu’il apprenne à l’utiliser à bon escient.      

    Il a aussi la grande chance d’avoir une famille formidable, un père fantastique qui fait preuve d’une volonté, d’une ingéniosité et d’une patience à toute épreuve.      

    Nous, accompagnants, professeurs, élèves, éducateurs nous aurons sans doute été, un peu, des capitaines, en l’aidant à libérer son potentiel humain et intellectuel et à se libérer de tout ce qui peut l’empêcher d’être et de devenir.      

    Un jour proche, tel les étudiants de l’académie de Welton, du haut de leur table, Joséphin, mon ami, tu oseras toi aussi t’élever et crier :  

    « Ô Capitaine ! Mon Capitaine !   Mon voyage peut commencer, J’ai franchi tous les caps, la récompense recherchée est gagnée. Le port est proche, j’entends les cloches, ceux que j’aime qui exultent,   J’entre dans ce monde plus fort que jamais... »      

    Et là tu auras réussi...      

     

    Texte dédié aux convaincus, aux septiques, aux hésitants, aux empathiques, aux apeurés, aux moqueurs, aux curieux, aux indifférents et, aux autres...

     

     

     

    « Pas de quartier pour les discriminationsPapi est-ce qu’on va s’en sortir? »
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  • Commentaires

    1
    Marcel
    Vendredi 16 Juin 2023 à 14:39

    Cessons de nous laisser guider par nos préjugés sur le handicap.

    Appliquons-nous à voir l'enfant, la personne avant toute autre chose. Ne nous limitons pas aux caractéristiques et aux portraits que l'on trace de ces personnes atypiques, qu'il s'agisse d'analyses de professionnels ou de personnes lambda.

    Dépassons nos peurs et nos angoisses.

    Nous prétendons, en lisant un rapport, tout savoir au sujet de cet enfant. Cela génère bien souvent, chez nous, de la peur, de l'inquiétude et inconsciemment du rejet...

    Notre société a décidé, à tort ou à raison, de qualifier le handicap pour mieux l'accompagner. Malheureusement cette étiquette stigmatise plus qu'elle n'aide car elle ne laisse qu très peu de place au reste, c'est à dire, à tout ce qui compose la personne, son humeur, son humour, ses préférences, ses goûts ses besoins, ses attentes, ses qualités, ses capacités, sa personnalité ...

    On peut déjà se poser une question:

    Et si ce petit c’était mon enfant, comment j'aimerai que l'on se conduise avec lui ?

     

     

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