• Tout homme qui a du pouvoir....

     

     

     « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il faut donc que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir." Montesquieu

     

    Au début des années 2000, animateur au sein des écoles primaires de ma ville, j’avais pris l’habitude de terminer mes séances d’activités par un temps d’échange avec les enfants ou chacun faisait part de son opinion et de son ressenti pendant l’atelier (moi y compris).

    Ceci afin d’ouvrir des espaces ou l’enfant pouvait s’exprimer librement. Car je l’avais bien compris, donner la parole à l’enfant contribuait à apaiser les tensions au sein du groupe, montrer à l’enfant qu’il avait, lui aussi, le droit de s’exprimer sur des sujets qui le concerne. En d'autres termes qu'il comptait au même titre que n'importe quel autre enfant.

    Après tout, moi j’avais le pouvoir - immense - de donner mon opinion à ma guise, de dire lorsque je n’étais pas content ou que quelque chose ne me convenait pas.

    Pourquoi chaque enfant n’aurait-il pas la possibilité d’en faire de même, au moins un peu ?

    Quand on se targue - c'était mon cas à l'époque - de favoriser l’épanouissement et la socialisation de l’enfant, n’est-ce pas logique de permettre une toute petite dose de démocratie ?

    Au début, il s’agissait, la plupart du temps, de parler des mésententes, des conflits dans le groupe. Et cela m’allait très bien. Je mettais alors à profit mes compétences en matière de gestion des conflits et de médiation.

    Mais au fil du temps, je dus faire face à des questions plus embarrassantes que je n’avais pas prévues (ni désirées).

    Mais comment faire une fois que la boite de Pandore est ouverte ?

    « La séance était nulle » ou encore « Tu nous a dit qu’on ferait (ce jeu)... » et aussi « pourquoi tu m’as puni... ? »

    Il m’a alors fallut faire un choix. Soit je recentrais les discussions sur les relations inter-groupe soit j’acceptais de répondre aux questions, au risque de devoir parfois me justifier avec sincérité.

    J’ai bien sûr choisi la seconde option et je ne l’ai jamais regretté. J’ai même été beaucoup plus loin avec les conseils d’entente, les cahiers anti-violence, des projets entièrement tournés vers les droits de l'enfant, et ce au grand dam de la plupart des adultes autour de moi qui voyaient d’un mauvais œil cette libération de la parole de l’enfant.

    Partager le pouvoir – qui plus est avec les enfants - ce n’est pas du goût de tout le monde.

    Et c’est là que j’en viens à la citation de Montesquieu « tout homme qui a du pouvoir est porté a en abuser... »

    Car j’ai découvert, à mon corps défendant, que la parole des enfants avait un effet sur moi que je n’avais pas mesuré dans de telles proportions. Elle me faisait réfléchir du point de vue de l’enfant. Et quelque part ces remarques, ces questions, ces opinions m’obligeaient… .

    J’ai changé ma façon de voir les choses, les mots que j’utilisais, le ton de mes interventions et m^me ma façon d'animer grâce à la parole des enfants.

    Et s’est ainsi éloigné de moi, peu à peu, un risque qui menace tout adulte face aux enfants : l’autoritarisme, qui désigne « la tendance d'une personne à abuser de son autorité, à l'exercer avec rigueur, à chercher à l'imposer. »

    J’avais, sans le vouloir, installer, un garde-fou redoutable, intraitable, capable de me signaler tout débordement, parfois jusqu’à l’abus (ce qui restait tout de même largement acceptable pour moi).

    Cette contrepartie que j’ai offert aux enfants m’a permis de m’approcher d’une certaine justesse dans mon rôle d’éducateur voire d'une certaine sagesse.

    Donner la parole à l'enfant c'est un peu se regarder dans un miroir...

    Je sais que la société n’est pas encore prête à franchir le pas. Elle tâtonne, se débrouillant avec ses excès, ses manquements, ses incohérences, confondant parfois droit et privilège.

    Il y a pourtant beaucoup à gagner à permettre à chaque enfant de s'exprimer sur ce qu'il voit, entend, vie au sein d'un groupe et sur sa relation avec les adultes.

    Quand la parole de l'enfant me blesse, je sais qu'il y a quelque chose qui ne colle pas dans mon approche.

    On doit alors pouvoir en parler de manière apaisée avec l'enfant qui nous fait reproche.

    Là ou la plupart des adultes montent sur leur "grands chevaux" ne serait-il pas plus productif et positif d'expliquer les choses avec calme et intelligence ?

    Pour cela il est nécessaire de ne pas se sentir supérieur à l'enfant.

    Nous ne le sommes pas.

    Le savoir et l'expérience ne nous donnent pas le droit de regarder l'enfant de haut. ils nous obligent seulement à davantage de responsabilité, de raison et une capacité plus grande (que l'enfant) à gérer nos émotions et à chasser nos ressentiments lorsque nécessaire.

    L'enfant est là, il nous observe, il comprend plus que nous ne l'imaginons.

    Nous aimerions qu'il soit un peu comme un animal à dresser, cela justifierait notre attitude parfois méprisante et condescendante à l'égard du monde des enfants dont nous faisions pourtant  partie à une époque (vous vous souvenez ?).

     

    Et c'est surement là que réside le plus grand travail à fournir chez l'adulte...

     

     

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