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           Quand on s’intéresse à la non-violence, le conflit est un sujet d’observation passionnant. Et lorsque l’on travaille avec les enfants, on est aux premières loges pour "étudier" ses rouages.

    En effet les enfants sont des "spécialistes" du conflit dans le sens où ils se disputent très souvent. D’un simple désaccord on peut vite aboutir à un conflit violent verbalement et/ou physiquement mais cependant rarement grave la plupart du temps.

    Il y a aussi - malheureusement - celles et ceux qui vont éviter autant que possible la dispute par peur de la violence qui pourrait en résulter ou du rejet, préférant subir en silence - malgré tout - les moqueries et les insultes venant de leurs pairs.

    Il m'a donc semblé important d’apprendre très tôt aux plus jeunes à se disputer sans violence et à s'affirmer dans le respect de l'autre.

    En observant les enfants et en les incitant à chercher des solutions non-violentes pour régler leurs conflits, je me suis rendu compte que - outre sa simplicité d'utilisation - la violence s'imposait souvent par défaut. "Je tape, j'insulte parce que je ne sais pas quoi faire d'autres". Il y a aussi un effet de mimétisme, dans le conflit plus que dans d'autres situations, les enfants se servant abondamment des modèles qui les entourent et des conseils reçus par la famille. Le plus connu étant "quand on te tape tu tapes !"

    J’ai donc tout naturellement commencé à gérer les conflits dans les séances que j’animais, et, très vite j’ai consacré un temps spécifique (puis des outils) pour que chacun puisse exprimer sa colère en faisant appel à son intelligence et à ses capacités à trouver des compromis.

    Au début la forme proposée était le message clair. Exemple : « quand tu me pousses, ça me met en colère et ça me fait de la peine. J’aimerai que tu arrêtes. Tu comprends ? » L’avantage de ce message était de proposer une forme que les jeunes enfants pouvaient mémoriser facilement.

    Très vite, certain(e)s y ont ajouté une dose de conviction personnelle très appréciable avec un ton et une forme plus… percutants. J’ai souvenir d’une petite fille de 7 ou 8 ans qui, en pleine séance d'activité, avait criée à son camarade « Je suis en colère quand tu te moques de moi! Tu comprends ? Arrête !!! »

    Enthousiasmant de voir comment des enfants peuvent s’émanciper d’une formule inadaptée pour eux tout en restant cependant fidèle à l’esprit de la démarche non-violente. Cela m'a permis d'évoluer personnellement et de comprendre qu'il était important de ne pas imposer une méthode de manière dogmatique (comme nous avons tendance à le faire trop souvent nous les adultes) mais, au contraire de permettre aux enfants de s'en emparer avec spontanéité et parfois une grande ingéniosité.

    Encore une fois, les enfants m'ont beaucoup appris, m'incitant à délaisser parfois des formes - trop - conventionnelles. J'en suis venu d'ailleurs à douter de l'utilité d'un modèle trop rigide à mes yeux qui, en pratique, ne correspond pas à tous les tempéraments et à toutes les situations. L'exemple de la petite fille cité plus haut le révèle de belle manière.

    L'essentiel est que la parole soit première et dernière. Si l'enfant se sent plus à l'aise en disant comme je l'ai entendu : "Stop, tu m'énerves à m'appeler bébé, tu vas arrêter oui ?", moi je n'y vois aucun inconvénient. Le message est clair et non-violent, c'est tout ce que je demande.

    Avec les plus grands, dans les stages d’activités que j’animais, certains employaient très souvent des termes différents et plus adaptés à leur âge mais le principe restait le même : préférer la parole à la violence.

    Je ne vous cache pas qu’il m'a été plus difficile d’obtenir l’assentiment des ados surtout avec les garçons - pourtant les plus concernés par la violence - qui se montraient les plus rétifs lorsqu'il s'agissait de parler sans insulter ou porter un jugement.

    J’ai eu néanmoins de bonnes surprises notamment lorsque nous organisions des espaces de paroles en fin de journée ou chacun pouvait exprimer son mécontentement, à la condition de s’adresser directement à son interlocuteur, et avec respect.

    Il y a quelque chose de magique et d'inattendu je l'avoue, à voir ces jeunes sortir quelquefois d'une posture bien rodée - et confortable - pour s'adonner au débat, à la discussion, à la réflexion, en étant capable d'écouter l'autre sans lui voler dans les plumes. Ils le faisaient avec leurs mots et leur style parfois très directs. Mais je ne pouvais que mesurer l'effort que cela représentait pour certains qui étaient davantage habitués à manier les menaces et les insultes et à distribuer des coups qu'à formuler des phrases pour exprimer leur colère. 

    Dans tous les cas la difficulté majeure que j'ai rencontrée fût le manque de temps. J’aurais aimé pouvoir travailler avec les plus grands sur des périodes plus longues pour qu’ils puissent pleinement s’emparer de ces espaces de paroles et mesurer tout le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer.

    Au moins pour les faire douter - un peu - qu'il existe bien une alternative à la violence.

    Je n’avais qu’une semaine et c’était, la plupart du temps, insuffisant.

    Toutes ces expériences diverses et variées et d’autres que je cite dans ce blog m’ont permis de mesurer l’importance d’apprendre aux enfants, dès l’école élémentaire, que dispute ne doit pas rimer avec violence et que l’on peut être en désaccord et pour autant se respecter, se parler, s'écouter.

    Comme l’écrit Raphaël Glucksmann dans son livre « lettre à la génération qui va tout changer » à propos du débat public et démocratique « … il faut civiliser le conflit et non le nier.»

    Et bien je crois modestement qu’en commençant bien plus tôt avec les enfants nous aurions peut-être davantage de chance d’avoir des générations d’adultes capables de se disputer sans pour autant se détester, de manière constructive et respectueuse. Ils le sont (capables) autant que nous le sommes. Non, à vrai dire je pense qu'ils le sont davantage que nous ne le sommes.

    Ne dit-on pas "l'adulte est fait de ce qu'il a fait, l'enfant de ce qu'il fait" ?

    Alors faisons avec eux, pour eux et pour nous !

    J’aimerais dire à tous les parents, les enseignantes, les enseignants, les éducatrices, les éducateurs, les animatrices et les animateurs combien il est important voire essentiel de développer des espaces de paroles, à la maison, à l’école, dans les centres aérés, les IME, partout où cela est possible, des lieux ou les jeunes pourront apprendre à vivre le conflit autrement que dans la violence et la peur.

    C’est un enjeu de société, j’en suis intimement convaincu.

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    Voici un outil remarquable que j'ai eu l'occasion d'utiliser durant mon parcours et que je vous recommande, si je peux me le permettre. Il s'agit du théâtre-forum à découvrir à travers un ouvrage écrit par Guillaume Tixier que j'ai eu le plaisir de rencontrer à plusieurs reprises et qui m'a initié aux techniques de ce fabuleux outil de gestion du conflit.

    Le théâtre-forum - Apprendre à réguler les conflits  Guillaume Tixier

     

     LIVRET PEDAGOGIQUE (pour les animateurs, enseignants, éducateurs, parents).

     

     

     

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  • De par mes activités professionnelles et mes lieux d'habitations j'ai très souvent vécu au contact de populations issues de la diversité, des gens aux origines et croyances variées qui, la plupart du temps, s'entassent dans des quartiers ou la pauvreté, la délinquance et la violence sont leur lot quotidien.

    Durant de nombreuses années j'ai participé à des animations de quartiers, organisé des ateliers et des évènements où la convivialité, l'échange et le partage demeuraient des valeurs sûres. Dans ces moments de rassemblement j'ai toujours été frappé par la simplicité, l'authenticité et la chaleur qui y régnaient.

    Un autre élément m'a souvent enthousiasmé: c'est la fierté que l'on voit dans le regard des parents lorsque leurs enfants sont mis en avant lors d'un spectacle, d'un concours ou autre.

    J'ai souvenir d'une remise des prix en 2019 à l'occasion d'un concours de lecture à voix haute que nous avions organisé dans un des quartiers pauvres de Salon-de-Provence. Cette manifestation avait rassemblé une cinquantaine de personnes et avait vu la victoire d'une enfant arrivée en France 2 ans auparavant.

    C'était très émouvant de voir à quel point ses parents étaient fiers d'elle. Malheureusement on ne parle pas assez, à mon goût, de ces familles qui font tout ce qu'elles peuvent pour se plier aux exigences de notre société occidentale malgré une culture et des codes différents.

    Et contrairement à ce qui se dit dans certains milieux, ce n'est pas un cas isolé.

    Dans la presse, en général, et dans les discours politiques, on insistera davantage sur les incidents qui éclatent dans les quartiers populaires en "oubliant" de dire qu'il y a aussi des gens dans ces quartiers qui ne souhaitent qu'une chose : vivre en paix.

    Mais la paix ne fait pas vraiment monter l'audience des chaines d'infos n'est-ce pas ?

     

    Je suis sincèrement inquiet devant la monté du Rassemblement National et du masque séduisant dont il se pare pour conquérir un électorat plus large et réussir à gravir la plus haute marche du pouvoir.

    Apparemment, ça fonctionne...

    Une jeune fille me disait après la parution des résultats des Européennes en juin: "J'ai peur de voir les extrémistes au pouvoir. Je suis pourtant française (d'origine maghrébine) mais je ne sais pas si ça suffira..." sous-entendu je ne sais pas si ils (le RN) en tiendront compte au final...

    Quelle peine d'entendre des peurs qui résonnent aussi en moi.

    Je répète depuis des années aux enfants que je rencontre à l'école et dans les quartiers qu'en France, on ne te jugera pas à la couleur de ta peau ou à ta religion mais sur tes actes.

    Bien sûr avec le temps j'ai appris à modérer mes propos car ils ont parfois été reçus de manière très négative par celles et ceux qui subissent des discriminations à l'embauche ou pour l'attribution d'un logement.

    Un professeur d'université que j'ai croisé lors d'une de mes animations me disait :

    "Tu sais Marcel, je suis français, mais certains me voit avant tout comme un arabe et pour avoir été contrôlé avec rudesse par la police, j'ai compris que ce n'était pas un détail que je devais oublier..."

    Je suis triste de voir peu à peu mon pays effacer de sa mémoire collective la devise qui est pourtant inscrite sur le fronton des bâtiments publics " LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE".

    Nous jouons avec le feu et j'ai bien peur que la plupart des "fans" de l'extrême droite ne soient pas tous conscients des processus qui sont à l'oeuvre.

    On commence par choisir qui est légitime dans un pays et qui ne l'est pas, et peu à peu on applique des critères de plus en plus discriminants afin de donner priorité aux "vrais français".

    J'aimerais tellement dire à ces gens qui détestent les noirs, les arabes, les musulmans, les juifs et tout ceux qui ne leur ressemblent pas: "Venez les rencontrer, venez leur parler, vous verrez qu'ils ont, comme vous, envie de voir leurs enfants heureux tout simplement."

    Il y a dans les quartiers des personnes qui commettent des délits, des violences, oui il y a des jeunes qui trafiquent et d'autres qui se laissent embrigader dans le fanatisme religieux, oui il y a des profiteurs.

    Mais soyons honnêtes, il a des imbéciles partout et ce n'est pas la couleur de peau, l'origine ou la religion qui les définit.

     

      "Attention ! Il est si tôt trop tard"

     

    "Quand on ne sait pas qui on est, on est ravi qu'une dictature vous prenne en charge et , dès l'instant où l'on se soumet à un maître, à un texte unique, on devient fanatique." Boris Cyrulnik

     

     

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  • Nous sommes dans un collège d'une charmante petite ville des Alpes Maritimes en classe de 3e, le professeur d'Histoire-Géo annonce aux élèves une interrogation écrite surprise. Quelques réactions se font entendre dans la classe, rapidement étouffées par l'injonction de l'enseignant:

    "Silence ! Prenez une feuille simple !"

    D'une démarche lourde et assurée, le professeur arpente la classe, passant entre les rangées de tables bien alignées, et balaye du regard le groupe d'élèves comme pour s'assurer que chacun a bien saisit la consigne.

    Chacun sait à quoi il s'expose si il contrevient aux ordres de l'adulte. Au mieux une punition, peut-être pire...

    Pourtant, à peine l'enseignant s'est-il installé face au tableau noir pour écrire le sujet sur lequel la classe va devoir plancher, qu'un gloussement se fait entendre derrière lui. D'un seul coup, le professeur se retourne foudroyant du regard les enfants. Soudain, ses yeux s'arrêtent sur un élève. Comme pris d'une colère puissante, il se précipite vers le supposé coupable, le saisit par l'oreille, l’extirpe de derrière son bureau et le traîne jusqu'à l'estrade placée devant le tableau noir.

    "Monsieur se croit plus malin que les autres, hein ?" hurle le professeur en pressant fort sur l'esgourde du pauvre enfant bien obligé de suivre le mouvement.

    Une fois arrivée sur l'estrade, l'adulte lâche son emprise laissant l'élève seul sur la marche, face à ses camarades. Dans la classe un silence lourd s'est installé.

    Nous sommes dans les années 70 et l'enseignant règne en maître sur ses élèves. Il peut user, presque sans retenue, de la violence physique, verbale, psychologique sans se voir inquiété par quiconque.

    À cette époque, il n'était pas rare de voir le prof lancer un projectile plus ou moins volumineux sur un élève dissipé (et parfois le manquer, oups !) pendant un cours, de se voir humilié devant ses camarades après de mauvaises notes et de prendre des coups (de pied, de règle) quand l'adulte (souvent un homme) avait décidé de passer sa colère sur la "tête de turc" de la classe.

    Si tu ne respectais pas le professeur ou tout autre personnel de l'établissement scolaire, tu risquais de voir cette violence injuste et arbitraire s'abattre sur toi sans avoir le droit de protester.

    Et c'était souvent pareil au sein de la famille.

    Nous devions respecter l'adulte - se soumettre à lui - non par choix ou parce que nous lui reconnaissions une quelconque autorité naturelle mais avant tout par peur de la douleur et de l'humiliation.

    Voilà ce que l'on appelait le RESPECT dans ces années-là.

    Quand j'entends certains de mes pairs regretter cette époque où l'on "respectait" l'adulte, j'ai du mal à comprendre cette "nostalgie" d'un passé dont j'ai personnellement gardé de très mauvais souvenirs.

    Pour eux c'est comme si les droits acquis par les enfants, au fil du temps, étaient usurpés. Est-ce que les enfants sont une population qui vit en dehors de la société ?

    On pourrait, si je suis ce raisonnement, frapper seulement les enfants, humilier seulement les enfants, maltraiter seulement les enfants pour obtenir le respect ?

    En quelque sorte, la fin justifierait les moyens... .

    Est-ce ainsi que l'on construit une société de liberté, d'égalité et de fraternité ?

    Si en 2024 nous en sommes encore à regretter le manque de violence envers les plus jeunes, c'est certainement que nous avons raté la marche de la civilisation et du progrès.

    Réduire la violence faites aux enfants partout ou cela est possible devrait être notre but ultime. On voit les dégâts et on connait les conséquences pour celles et ceux qui sont victimes, dans leur enfance, d'adultes maltraitants.

    Certes la violence ça ne tue pas toujours mais ça rend malheureux, parfois même très malheureux.

    Et ça nous ne pouvons le souhaiter à personne.

     

     

    Extrait de l'article "un-vocabulaire-pour-la-non-violence "

    "Serait violente, peut-on suggérer de manière analogique, toute éducation où le maître parlerait comme s'il était seul à parler ; comme si les enfants n'étaient là que pour recevoir son discours. Serait violente toute éducation que les enfants subiraient sans en être jamais les collaborateurs. Cela signifie que l'éducateur doit accepter de dialoguer et de débattre avec ses élèves. Or, force est de reconnaître que le modèle pédagogique traditionnel a conféré au maître un pouvoir presque absolu sur ses élèves. Ceux-ci n'avaient aucunement le droit de s'exprimer et lorsqu'ils parlaient, c'était sur l'injonction du maître qui les mettait à la question. Et ils n'avaient droit qu'à une seule réponse : celle que le maître attendait d'eux."

     

     

     

                            Tous des artistes !                                                                                                                                    

     

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